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JOUR 1

 

 

Porte d’Orléans. Ça commence toujours là. Assis près de la statue de je ne sais quel général honoré par la nation. Un seul sac. Pas d’idée de destination en tête. Une météo favorable suffit. C’est le cas aujourd’hui. Donc j’ai attendu, sans conviction, que quelqu’un m’interpelle d’un « Vous allez où ? ». Une bonne heure et demi, et un drôle d’équipage a freiné devant moi. Une vieille auto  américaine tractant une caravane de forain d’une autre époque. Ça ressemblait à peu près à ceci.

JOUR 2

 

 

 

 

Elle a toqué à la vitre embuée, à l’arrière, avec un café fumant et m’a tiré de mes drôles de rêves dans cette nuit pas très confortable. "Tiens, j’ai ça (la tasse) et ça (une sorte de carte) pour toi. Regarde la carte, c’est ma route…Vise si elle te va et dis moi si tu t’incrustes à bord". Et elle est retournée dans la remorque.

 

La carte, la voici, je l’ai gardée.

 

 

 

 

 

A la place du « Vous allez où ? », j’ai eu droit à : « t’es sûr d’avoir encore l’âge de faire la route ? » La conductrice, d’une cinquantaine d’année, m’a lancé ces mots en riant, et pas qu’à moitié…Une femme aux cheveux roux noués dans tous les sens, toutes sortes de badges colorés sur une vieille veste en laine mauve…la curiosité a toujours été un de mes vilains défauts et ça ne passe pas. Je suis monté à ses côtés.

On est parti. Elle riait toujours en me regardant du coin de l’oeil. Elle a allumé une cigarette d’une seule main en conduisant. « J’espère que ça dérange pas mon invité ?… » et elle a continué à se marrer en tirant ardemment sur sa clope.

Je ne savais pas où elle allait et elle ne m’a rien demandé. Nationale 20, tout droit. Pourvu qu’on descende plein Sud, c’est bon. Passé son rire et le silence qui a suivi. Je lui ai demandé ce qu’était son affaire, là derrière, avec l’enseigne « Babouillec ». J’ai pensé qu’elle était voyante, chiromancienne, où quelque chose comme ça, un commerce fumeux pour extorquer les pauvres angoissés chroniques de notre monde ( et en plus, j’en suis un, là dessus, pas de doute…).

 

Elle a tendu le bras vers l’arrière et m’a posé un livre sur les genoux :

Un petit livre, pas plus de 80 pages. Il y avait de nombreux exemplaires sur la banquette arrière, jetés en vrac. Et quelques autres titres, du même auteur. J’ai lu, lu et encore lu. La quatrième de couverture la présentait comme autiste déficitaire n’ayant jamais parlé.

Difficile de lâcher la lecture de cette écriture complètement décrochée. Pas d’autre manière de dire l’épreuve de cette lecture.

J’ai demandé à mon chauffeur si elle disait la Bonne Aventure avec ça et pourquoi le nom de l’écrivaine était en grosses lettres ( fluos, la nuit, je l’ai constaté plus tard) sur la remorque.

Elle a à nouveau ri bruyamment et a hoqueté en toussant qu’elle n’était pas une sorcière, mais disons une détective un peu spéciale, une chercheuse, et que je n’avais rien à craindre, et dans le même souffle, ou presque, que je n’avais pas à me faire de mouron, que si j’avais nulle part où dormir ce soir, elle lui céderait la banquette arrière, parce que dans la caravane, y avait pas la place pour deux et que c’était de toute façon pas son genre. Elle a fini à bout de souffle. J’ai continué à lire silencieusement jusqu’au soir. Stationnement sur un parking de village. Courcouronnes, je crois. Je vérifierai demain matin.